La barbarie d’un double crime

Car il s’agit là, en réalité, d’un double crime, et non des moindres par la barbarie qu’il recèle : un crime à l’encontre d’une œuvre d’art, acte déjà éminemment répréhensible en soi, certes ; mais aussi, et peut-être plus condamnable encore, un crime attenant, comme pour toute forme de racisme, à l’antisémitisme, plus encore qu’à l’antisionisme, le plus ignoble !

La (dé)raison de pareil geste ? Le fait que Lord Balfour, ancien Ministre anglais des Affaires étrangères, ait été le promoteur, en 1917, d’une déclaration exprimant, de manière officielle, le soutien du Royaume-Uni à l’établissement d’un « foyer national pour le peuple juif » en Palestine : préambule, cette décision, de ce qui deviendra en 1948, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et dans le douloureux sillage de ce crime unique dans les annales de l’(in)humanité que fut la Shoah, la création, sous l’égide de David Ben Gourion, de l’Etat d’Israël ! 

C’est dire donc si, par-delà même cet énième acte de vandalisme à l’encontre d’une œuvre d’art (comme déjà, il y a quelques semaines seulement, à l’encontre de « La Joconde » de Léonard de Vinci ou du « Printemps » de Claude Monet), il s’agit cette fois, chose bien plus grave encore, d’un véritable acte d’antisémitisme ! 

L’université de Cambridge pour l’Etat d’Israël : De Lord Byron à Lord Balfour

Cette même et prestigieuse université de Cambridge, par ailleurs, ne s’est jamais privée de manifester publiquement sa sympathie, voire son soutien, envers le peuple juif, puisque c’est encore elle qui accueillit généreusement, au début du XIXe siècle, de 1805 à 1808, mon cher Byron, autre célèbre Lord (auquel j’ai naguère consacré, pour les Editions Gallimard, une ample biographie), lequel écrivit, quant à lui, d’admirables « Hebrew Melodies » (« Mélodies Hébraïques »), recueil datant, pour l’exactitude, de 1814, soit près d’un siècle, déjà, avant la célèbre déclaration, quant à la future naissance de l’Etat d’Israël précisément, du précité Lord Balfour !

Quand salir la culture équivaut à souiller ses propres idées

Certes, le peuple palestinien, dans la bande de Gaza, vit-il aujourd’hui, par la guerre qu’Israël mène actuellement à l’encontre des terroristes du Hamas après l’abominable attaque du 7 octobre dernier, une terrible tragédie sur le plan humain. Et à lui, comme à toutes les victimes dans cet horrible conflit, qu’elles soient juives ou palestiniennes, toute notre sincère compassion !

Mais, tout ceci étant dit, quand, du reste, s’attaquer à l’art, et parfois à ses plus grands chefs-d’œuvre, a-t-il jamais représenté un argument digne de ce nom, rationnel et objectif, pour défendre des idées, aussi nobles soient-elles ? 

Car, de fait, seuls les régimes dictatoriaux, qu’ils soient d’extrême-gauche ou d’extrême-droite et qu’on les nomme, par-delà tout clivage politico-idéologique, « fascisme », nazisme », communisme ou « stalinisme », se sont honteusement adonnés à ce genre de pratique, particulièrement méprisable sur le plan intellectuel et abject au niveau moral.

Davantage : se rendent-ils donc compte, ces infâmes extrémistes, que c’est tout d’abord leur propre cause, leur parti ou leur organisation, qu’ils souillent et avilissent, par la violence de leur geste, ainsi ? De fait : dégrader la culture ou salir l’art (dans cet odieux cas, au sens premier du terme) était déjà la pratique favorite, de sinistre mémoire, des nazis au siècle dernier lorsqu’ils taxaient certains des meilleurs peintres, en cet obscur temps-là, de « dégénérés » !

La « Nazi attitude »

Pis : s’en prendre ainsi à l’art, et dans ce cas à des sympathisants de la cause israélienne de surcroît, ne peut hélas que faire penser, sans certes vouloir comparer ici l’incomparable ni verser malencontreusement en un révisionnisme de mauvais aloi, aux pires propagandistes nazis précisément, du style Goebbels ou Göring, lorsqu’ils disaient « sortir leur revolver quand ils entendaient le mot culture » (ce sont du moins là les ignominieuses paroles que le dramaturge allemand Hanns Johst, fervent admirateur d’Hitler, leur attribue glorieusement dans sa pièce de théâtre Schlageter, dédiée un prétendu martyr pré-nazi).

Afficher à ce point son mépris de la culture, tout autant que de l’art, fait effectivement froid dans le dos, surtout par tout ce à quoi renvoie fatalement pareil, fanatique et périlleux réflexe antisémite : la « nazi attitude » !  

DANIEL SALVATORE SCHIFFER (*)

(*) Philosophe, écrivain, auteur d’une quarantaine de livres, directeur de l’ouvrage collectif, autour de 33 intellectuels majeurs, « L’humain au centre du monde – Pour un humanisme des temps présents et à venir. Contre les nouveaux obscurantismes » (Editions du Cerf).