PAN : Une semaine après l’attaque meurtrière du Hamas contre Israël, on en est toujours à se demander ce que recherchait l’organisation islamiste. Qu’avait-elle à gagner à cette action insensée ?

Claude Moniquet : Le Hamas avait certes un intérêt tactique à mener cette opération, mais il n’y avait aucun intérêt stratégique. Il a donc été guidé, d’une part, pas sa conception de « la guerre » et par des intérêts extérieurs, en l’occurrence ceux de l’Iran. Je m’explique. 

Tactiquement, d’abord, le Hamas est arrivé à prouver que la « forteresse israélienne » n’est pas imprenable, même si l’ampleur de son « offensive » a été limitée : ses incursions terrestres se sont limitées à une zone de quelques kilomètres autour de la Bande de Gaza, essentiellement à l’est de celle-ci et un peu au nord (jusqu’à Ashdod à une vingtaine de kilomètres de là). Pour les Israéliens, c’est déjà une défaite majeure mais soyons clairs : à aucun moment la sécurité globale de l’Etat n’a été remise en question. 

Du point de vue stratégique, il est clair que cette opération ne rapportera rien au Hamas, loin de là. L’organisation elle-même ne sera peut-être pas totalement « éradiquée », comme on le veut à Jérusalem, mais elle sera, à minima, extrêmement affaiblie ; elle est, politiquement parlant , discréditée à tout jamais (même auprès des pays arabes) et les crimes commis ont sans doute fait reculer la cause palestinienne plutôt qu’ils ne l’ont servi. 

A partir de ce constat on peut se poser la question : cela en valait-il la peine (toujours du point de vue du Hamas, bien entendu) ? Et au vu du prix qui sera payé, la réponse est non. Les motivations ne sont donc pas stratégiques ni même tactiques. Elles sont à chercher dans la nature même de l’organisation et dans l’influence extérieure. Pour être clair, celle de l’Iran.

PAN : Le Hamas est désigné comme étant un groupe terroriste par plusieurs pays dont les États-Unis, mais aussi l’Union européenne. D’aucuns refusent ce classement. ils y voient une « organisation de la résistance palestinienne ». Votre avis ?

Claude Moniquet : Même si son action s’est limitée, jusqu’à présent, au territoire israélien, le Hamas est clairement un groupe djihadiste millénariste et apocalyptique qui vise à répandre la terreur en vue de favoriser l’émergence d’un chaos qui, lui-même précipitera le monde vers sa fin et permettra la création d’un Califat mondial et, à terme, le retour du prophète. En cela, comme le modus operandi épouvantable du 7 octobre, le Hamas est très proche de Daech. Cela peut sembler délirant à des esprits occidentaux cartésiens, mais c’est la réalité. Pour ce faire, le Hamas a appliqué à la lettre, le 7 octobre et les jours suivants, ce qui était proposé, en 2004, par l’islamiste égyptien Abou Bakr Naj dans « Gestion de la barbarie »Idārat at-Tawaḥḥuš: Akhṭar marḥalah satamurru bihā l'ummah). 

De son vrai nom Mohammad Khalil Hasan al Hakaymah (mais aussi connu sous le nom de guerre Abou Jihad al-Masri), il a été formé en Egypte dans la mouvance des Frères Musulmans avant d’être l’un des fondateurs de la Jamaat al-Isalamiya, un groupe armé. Il avait été profondément influencé par la pensée d’un autre stratège islamiste égyptien, Sayyid Qutb (pendu au Caire le 29 août 1966) qui prônait un djihad apocalyptique. En 2006, Abou Bakr Naj qui avait rejoint l’Afghanistan depuis longtemps, avait adhéré à al-Qaïda. Il sera tué dans une frappe américaine le 31 octobre 2008. Dans « Gestion de la barbarie », il écrit notamment que le Djihad vise à instaurer une violence maximale afin de provoquer une riposte de l’adversaire qui va, elle-même, susciter le ressentiment des musulmans et des vocations de martyrs, enclenchant ainsi un enchainement sans fin qui aboutira au chaos désiré. Un attentat, écrit-il « n’est rien autre que violence, cruauté, terreur et massacre ». C’est très exactement ce qui a été appliqué le 7 octobre par le Hamas…

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PAN : Vous faites allusion à l’Iran. Son implication est-elle certaine ? 

Claude Moniquet : Oui. L’Iran, il faut bien le comprendre, vit, depuis la mort de Mahsa Amini et la véritable insurrection populaire qui a suivi, sa crise la plus grâce depuis la naissance du régime. En suscitant l’action du Hamas, les mollahs pouvaient espérer détourner l’attention du monde, afin de continuer la répression sanguinaire de toute contestation intérieure et de se poser, dans l’opinion musulmane, comme le seul vrai défenseur de la cause palestinienne. C’est une diversion et cela rejoint en même temps l’objectif revendiqué depuis toujours de Téhéran d’extirper l’entité sioniste, vécue comme un corps étranger en terre d’Islam. Une sorte de « cancer ». Un autre but stratégique de Téhéran était évidemment d’enrayer le rapprochement en cours entre Israël et les monarchies sunnites modérées du Golfe, ce qui est vu comme un danger existentiel par le régime. D’une part Téhéran a renoué des relations diplomatiques avec Ryad, d’autre part, elle souhaite creuser un fossé infranchissable entre Israël et le monde arabe. 

L’implication de Téhéran commence à être bien documentée. C’est l’Iran qui a financé le Hamas pour cette opération, c’est l’Iran qui a formé ses cadres, c’est l’Iran qui a fourni une partie des matériels utilisés pour fabriquer les missiles, c’est l’Iran qui a participé à la conception et à la préparation de l’opération. D’après des journaux américains bénéficiant de sources fiables au sein de la communauté du renseignement – entre autres le « Wall Stree Journal » et le « Washington Post » – c’est Téhéran, plus précisément les Gardiens de la Révolution, qui lors d’une dernière réunion à Beyrouth, le 5 octobre, aurait donné le feu vert au déclenchement de l’opération. Durant tout le weekend, on a assisté à une montée en puissance rhétorique de l’Iran qui s’est fait de plus en plus menaçant.  Au point que Jake Sullivan, le conseiller de Joe Biden pour la sécurité nationale, déclarait dimanche après-midi sur CBS :  «Il existe un risque d'escalade à ce conflit, d'ouverture d'un second front au nord, et bien sûr de l'implication de l'Iran. Nous ne pouvons pas écarter l'hypothèse que l'Iran décide de s'impliquer directement d'une manière ou d'une autre. C'est un risque, et c'est un risque dont nous sommes conscients depuis le début… »

PAN: La guerre peut-elle, dès lors, s’étendre ?

Claude Moniquet : Il est trop tôt pour le dire. Si les plans du Hamas et de Téhéran fonctionnent, la riposte israélienne va déclencher un embrasement local, avec l’éclatement d’une Intifada en Cisjordanie et des combats au Nord, à la frontière libanaise. Mais pour le moment, la réaction du Hezbollah reste assez symbolique. Il y a eu des bombardements et une ou deux tentatives d’infiltrations n’impliquant pas davantage que des effectifs du niveau d’une patrouille, mais rien de plus. Mais la situation est extrêmement volatile et peut se modifier du tout au tout d’une heure à l’autre. Et là, tout sera à craindre. Du reste, la présence d’un porte avion américain, l’USS Gerald R. Ford, et de son groupe de combat sur zone, et l’envoi annoncé d’un deuxième groupe naval autour du porte-avions USS Eisenhower est très significatif : Washington prend les devants afin d’aider Israël à assurer sa sécurité et dissuader toute partie tierce (Hezbollah, Iran…) de se mêler de l’affrontement entre Tsahal et le Hamas.

Cela étant, la situation est extrêmement dynamique et évolue très vite. Ce dimanche après-midi, le Hezbollah a mené plusieurs frappes sur le nord d’Israël, s’attirant à chaque fois une riposte immédiate de Tsahal. Pour le moment la situation est contenue et la Kyria (qui abrite l’état-major de Tsahal, à Yel Aviv) a beau faire savoir que l’Etat Hébreu « n’est pas intéressé à une guerre sur sa frontière nord », il est évident que si les choses s’enveniment, la réponse israélienne sera à la hauteur des enjeux. 

PAN : Sur les plateaux des chaines d’informations continues, on entend encore certains experts estimer qu’il n’y aura pas d’offensive terrestre ou alors que celle-ci sera limitée. Voire qu’il y aura des négociations, entre autres pour les otages.

Claude Moniquet : Ce sont des doux rêveurs. Il n’y aura pas de négociations directes entre Israël et le Hamas, même en ce qui concerne les otages. Israël va laisser certains pays négocier, mais ne va pas s’en mêler. Quant à l’offensive terrestre elle est imminente. Elle sera massive et longue. Comment pourrait-il en être autrement ? Le 7 octobre, c’est l’attaque terroriste proportionnellement la plus grave de l’histoire si on rapporte le nombre de victimes civiles à la population. Avec 1.200 morts ou plus, c’est comme si les attentats du 13 novembre à Paris avaient fait plus de 8.000 victimes ou ceux du 11 septembre aux Etats-Unis plus de 40 .000. Comment peut-on penser que la riposte israélienne ne sera pas massive et extrêmement brutale ? 

Nous avons publié une note d’analyse il y a quelques jour[1]. Permettez_moi de la citer : « la doctrine militaire israélienne » telle qu’elle est appliquée par Tsahal est connue et repose, entre autres, sur la « doctrine Dahiya » développée par le général Gadi Eizenkot, chef d’Etat-major général de 2015 à 2019 (et, par ailleurs, ardent défenseur d’une paix à deux Etats, d’un approfondissement de la démocratie et d’une séparation accrue des pouvoirs…). Dahiya repose sur le concept d'une guerre asymétrique rapide qui implique la destruction des infrastructures civiles des régimes jugés hostiles, pour empêcher les combattants ennemis de les utiliser, et sur l’emploi d'une puissance « disproportionnée » pour anéantir les forces adverses. 

En fait, Dahiya ne fait que synthétiser ce qui a toujours été la stratégie de l’Etat hébreu : maintenir en tout temps et en toutes circonstances une supériorité stratégique et tactique afin d’assurer la survie d’Israël. Tout adversaire potentiel doit savoir qu’il paiera un prix « énorme » et « déraisonnable » s’il agresse le pays. Ipso facto, cela signifie que chaque acte hostile doit donner lieu à une réplique immédiate et écrasante. Le but, ici, est de montrer à l’ennemi qu’il ne peut pas espérer gagner. Dans le cas qui nous occupe, les pertes du Hamas devraient être infiniment supérieures (numériquement parlant) à celles subies par Israël (c’est l’aspect « non proportionnel » de la doctrine)… 
 


[1] ISRAËL : COMMENT SE DEROULERA L’INEVITABLE OFFENSIVE TERRESTRE SUR GAZA (esisc.org)