Un sort envié, mais pas enviable

Envié, certes, ce nouveau poste, mais pas, pour autant, enviable, dans la mesure où cette éminente fonction – une promotion en trompe-l’œil, à y regarder de plus près et compte tenu des douloureux enseignements du passé (de Michel Rocard ou Laurent Fabius sous la présidence de François Mitterrand à Alain Juppé ou Jean-Pierre Raffarin sous la présidence de Jacques Chirac ) risque bien, contrairement aux apparences, de compromettre dans les faits, tel un cadeau empoisonné, sinon un baiser de la mort, ses légitimes ambitions présidentielles. Du reste, les peaux de banane sont légion, hélas, dans l’étroit, et parfois arrogant, voire méprisant, sérail de la macronie la plus dédaigneusement arriviste. Grandeur et misère du Pouvoir !

Attal, nouvel ange Gabriel de la politique française

C’est dire si Attal, sorte de nouvel ange Gabriel (sans vouloir m’adonner ici à de vains, quoique peut-être spirituels, jeux de mots) de l’actuelle politique française, devra prêter sérieusement attention, en se montrant particulièrement vigilant, à ces inévitables et nombreux pièges que ne manqueront certainement pas de lui glisser, sous ses autoritaires mais inexpérimentés pas, ses propres rivaux internes, et autres frustrés ou jaloux du favoritisme macronien, plus encore que ses opposants politiques, au premier rang desquels émerge, bien entendu, Jordan Bardella, tout aussi jeune président, bien qu’encore placé sous l’incontestable houlette de Marine Le Pen, du Rassemblement National.

Attal et la « renaissance » de Macron : du machiavélique prince à la cour des Médicis à l’ascension à la tête de l’Etat

Mais il est vrai que le fougueux mais brillant Gabriel Attal, qui, avant de diriger successivement deux ministères (celui des Comptes Publics et de l’Education Nationale) sous cette même présidence d’Emmanuel Macron (dont il fut aussi l’adroit porte-parole au sein du Gouvernement), travailla quelques mois à la prestigieuse Villa Médicis, l’Académie de France à Rome, dont on sait ce que l’aura de ce nom même de « Médicis », mécènes aussi magnifiques que cruels au temps de la Renaissance (à laquelle le nouveau parti de Macron emprunta, comme par hasard, le nom !), doit, en matière de stratégie politique précisément, au fameux « Prince », injustement méconnu et surtout décrié par les incultes d’aujourd’hui, d’un certain Machiavel !

Le rouge et le noir

Mais, plus encore qu’à la Renaissance italienne, c’est au profil politico-idéologique du très romanesque héros de l’un des plus grands livres de la littérature française, sinon universelle, que Gabriel Attal, qui est venu de la gauche (dont le rouge, fût-il atténué, est la couleur de prédilection) avant de virer habilement vers la droite (dont le noir s’avère plutôt le ton, fût-il certes passé, préféré), ressemble, en réalité, le plus : Julien Sorel, ambitieux mais néanmoins séduisant protagoniste, quelque peu dandy même à ses heures éperdues, qui, pour satisfaire sa fulgurante ascension sociale, pensa à endosser la soutane du prêtre en même temps (autre slogan macroniste !) qu’à se draper de l’uniforme d’officier, dans Le Rouge et le Noir, saisissante mais dramatique chronique des mœurs du XIXe siècle (mais, à l’évidence, encore très actuelle), de Stendhal. 

Interdiction de l’abaya et soutien de la laïcité : une nécessaire et efficace incarnation de  l’autorité ministérielle

Oui, décidément, c’est bien cela, le jeune mais doué, nanti d’une belle, efficace, nécessaire et pourtant libre autorité ministérielle comme il le prouva dans son interdiction de l’abaya aussi bien que dans son soutien de la laïcité, Gabriel Attal, à l’image même de son opportuniste, et paradoxal à bien des égards, mentor quant à sa tout aussi irrésistible carrière en matière de pouvoir politique à la tête de l’Etat : un Macron (venu par ailleurs lui aussi, sous la présidence de François Hollande et via le magistère de Dominique Strauss-Kahn, du socialisme) revu et corrigé par Bardella !

Espoir et vœu

Reste à savoir donc, et surtout à espérer en ces glorieuses mais difficiles conditions, si Gabriel Attal, désormais illustre Premier Ministre de la République Française, saura tenir les audacieuses mais impératives promesses – c’est là le vœu de bon nombre de Français – que le Président, à l’instar de la Nation elle-même, lui confie en effet, nuance oblige, aujourd’hui…  

 

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

*Philosophe, auteur d’une quarantaine de livres, dont « Philosophie du dandysme – Une esthétique de l’âme et du corps » et « Le dandysme, dernier éclat d’héroïsme » (publiés tous deux aux Presses Universitaires de France), « Oscar Wilde » et « Lord Byron » (publiés tous deux chez Gallimard-Folio Biographies) et directeur des ouvrages collectifs « Penser Salman Rushdie » et « Repenser le rôle de l’intellectuel » (publiés tous deux aux Editions de l’Aube, avec la collaboration, pour le premier, de la Fondation Jean Jaurès).