Une rupture communautaire avouée

Lors de la seconde moitié du siècle dernier, l’expression du mouvement flamand s’intensifie. L’Etat belge, jusque-là « unitaire », décide d’assumer le clivage culturel, et réalise une série de réformes pour devenir un Etat « fédéral » composé d’entités fédérées : régions et communautés. Symboliquement, la rupture est opérée en 1968 lorsque professeurs et étudiants francophones sont exclus de l’Université catholique de Louvain. La Belgique va se scinder politiquement. L’Etat-nation s’éteint. Le sentiment belge est affaibli. Le projet commun de vie sociale est abandonné au profit d’intérêts communautaires tentant de coexister par le truchement de compromis. De nos jours, la conscience nationale belge est vraisemblablement étouffée par cette division communautaire. Les partis politiques, étant organisés selon les frontières administratives du pays, sont révélateurs de la philosophie qui y règne. Au nord du pays, poussés par un sentiment flamand, les partis prônant le confédéralisme et la sécession sont toujours plus populaires. Leur succès s’explique principalement par les thématiques identitaires, de sécurité et d’immigration, mais aussi par l’apathie qui caractérise la vie politique au sud du pays. 

Une gangrène bien-pensante installée

Côté francophone, les partis, s’ils souhaitent obtenir une visibilité médiatique, sont tenus de respecter le « très démocratique » cordon sanitaire, espace où l’infamie politique est soigneusement exclue. Il en résulte des débats endigués, aseptisés, paralysés, où, par peur d’être associé à des idéologies suspectes,  l’omerta règne sur certains sujets. Il semble pourtant, par exemple, sain d’esprit de s’interroger sur la situation démographique de Bruxelles. Dans l’espace politico-médiatique francophone belge, c’est inenvisageable. Des quartiers et communes sont entièrement occupés par des communautés issues de l’immigration extra-européenne, demeurant pour la plupart fidèles à leurs mœurs et coutumes d’origine. Si l’enjeu identitaire est évident – en termes des décennies à venir ; le sécuritaire l’est tout autant. Cela fait près de dix ans que le terrorisme est – aux yeux du grand public – sérieusement lié à Bruxelles. Les cellules s’y forment et s’y concertent, les actes s’y passent. Or, par angélisme, complaisance et visée électorale, la Capitale est présentée comme étant une ville où la multiculturalité apporte son lot de richesses. 

Les thématiques généralement abordées par une droite traditionnellement conservatrice sont donc automatiquement hors-jeux, réduisant considérablement l’offre politique à destination des francophones. Certaines actualités et polémiques emmenées sur l’arène médiatique, portant sur des éléments culturels et identitaires, sont captées par le MR (e.g. Père Fouettard et Saint Nicolas, sauvage de la ducasse d’Ath) – mouvement libéral et seul parti d’envergure placé à droite de l’échiquier politique en Belgique francophone. Le MR a conscience qu’un espace identitaire est à saisir, étant laissé cruellement à l’abandon en Wallonie. Ce parti ne peut le faire, néanmoins, qu’en demeurant fidèle au strict endiguement du cordon sanitaire, sous peine de mourir médiatiquement et de se voir frappé du redouté sceau d’infréquentable. Toutefois, au regard de la philosophie politique, la sauvegarde et la défense d’un sentiment national peuvent difficilement être assurées par un mouvement dogmatiquement libéral. De fait, son idéal, selon Jean-Claude Michéa, se traduirait par l’atteinte d’un pouvoir « axiologiquement neutre (ne reposant sur aucune religion, morale ou philosophie déterminée) dont le seul souci serait de garantir la liberté individuelle, c’est-à-dire le droit pour chacun de vivre en paix, selon sa définition privée de la vie bonne ». Aux yeux d’une telle posture, l’appartenance à une identité nationale commune n’est pas une priorité existentielle. 

Souhaitant donc faire fi de toute donnée démographique – et du facteur socio-culturel, les débats politiques font table rase de l’histoire du pays. Il en résulte que ses principaux acteurs sont dépourvus de toute vision ancrée dans une perspective et continuité historiques. Hommes et femmes politiques ne sont pas porteurs de réelle vision pour l’avenir du peuple belge. James Freeman Clarke le dit judicieusement : « la différence entre l’homme politique et l'homme d'État est que le premier cherche à gagner les prochaines élections, le second songe à l'intérêt des prochaines générations ». 

Dans le même temps, ces médias et personnalités politiques, écœurés par toute argumentation identitaire, s’accordent pour diaboliser les tentations séparatistes flamandes, de les présenter comme une menace existentielle à l’unité de la Belgique. Celles-ci sont principalement portées par une conscience nationale. Or, toute identification à un passé commun, à une identité commune – cause donc du sentiment flamand et de son désir davantage autonomiste, n’est pas permise au sud du pays dès qu’elle s’écarte des exigences morales inhérentes à l’idéologie progressiste. 

Si le séparatisme flamand est vu comme une menace, quelle alternative culturelle collective la partie résiduelle du pays peut-elle lui suggérer ? Cela suppose, dans l’espoir de s’accorder, de cesser de fustiger machinalement nos compatriotes flamands à l’instant où ils expriment un sentiment de fierté régionale. Et pour cause : un héritage commun de près de deux cents ans – et antérieur – existe…

Avec PANache