Des méthodes de prosélytisme

Dès son préambule, Florence Bergeaud-Blackler prend soin de parer l’accusation de complotisme. Signe qu’elle se doutait que son ouvrage ne manquerait pas de soulever controverses et polémiques, mais l’investigation est approfondie. Le soft power, l'entrisme, la ruse, le plan... tout y est explicité de manière précise et rigoureuse, raison pour laquelle la chercheuse est sous protection policière depuis la sortie de son ouvrage en janvier dernier. L’auteur documente comment cette mise en question du modèle démocratique occidental au profit d'une théocratie islamique, est orchestrée par l'organisation elle-même, à l'aide de ses très nombreux relais, en particulier : confessionnels et politiques, mais aussi de protection de l'environnement (si, si !). Religion et sciences humaines sont aussi subtilement mêlées dans le discours distillé et l’islamophobie occidentale surexploitée.

Pourtant, déjà en 2017, vision rigoriste de l’Islam, discours antisémite et misogyne, proximité avec les Frères musulmans, un rapport de l’OCAM pointait, en particulier, du doigt la formation à un islam radical « moyenâgeux » des imams et des professeurs de religion islamique. Six ans plus tard, les imams radicalisés continuent à prêcher ouvertement la haine, alors que les gouvernements européens tâtonnent pour placer sous contrôle l'activité de ces prédicateurs. Tour d’horizon.

Expulser du territoire, mais qui ?

En octobre 2017, le premier imam de la Grande Mosquée de Bruxelles, Abdelhadi Sewif, d’origine égyptienne, est invité à quitter le pays. Sa carte de séjour lui est retirée à la suite d’un rapport de la Sûreté de l’Etat daté de décembre 2016. L’homme n’a pas de casier judiciaire, mais il est considéré comme un salafiste, très radicalisé, très conservateur et dangereux pour notre société. Il aurait même refusé de réciter la prière pour les victimes non-musulmanes des attentats de Bruxelles. C’est le deuxième imam, après l’imam de Dison, El Alami Amaouch, qui fait l’objet d’une telle mesure. En octobre 2021, Mohamed Toujgani, imam principal de la mosquée Al Khalil à Molenbeek, la plus grande de notre pays, subit le même sort. 

Une demi-solution toutefois, puisque beaucoup d’imams sont belges et donc non expulsables. D’ailleurs, El Alami Amaouch, qui avait quitté notre pays en novembre 2016, pour le Maroc, à la suite d’un avis d’expulsion, se retrouvera tranquillement un an plus tard à La Haye. Jouissant de la double nationalité marocaine et néerlandaise, il continue aujourd’hui à y prodiguer ses prêches, apparemment sans être inquiété.

Interdire le financement étranger ?

Pour endiguer le phénomène des radicalisations islamistes, en 2015, l'Autriche a officiellement interdit le financement étranger des organisations islamiques et des mosquées autrichiennes et a obligé les imams à utiliser le Coran dans sa traduction standardisée en allemand. L’Allemagne a emboité le pas en 2018. En pleine crise diplomatique, le gouvernement a réclamé des mosquées indépendantes de la Turquie. 

Dans notre pays, en 2017, Le groupe MR de la Chambre avait transmis une proposition de recommandation pour interdire le financement étranger des cultes en Belgique à la commission d'enquête parlementaire sur les attentats terroristes. Mais, couper les liens financiers avec les pays étrangers est une mesure qui ne fait pas l’unanimité politique à l’Europe. Comment faire sans ? Est-ce dès lors le contribuable qui va devoir s'y substituer ? D’aucuns estiment que ce serait une violation fondamentale du principe de laïcité de l’Etat.

Prêcher dans la langue du pays d’accueil

Aux Pays-Bas, les autorités ont adopté une approche différente. Pas d’arrestations, pas d’expulsions, pas d’interdiction. En 2018, le gouvernement hollandais a mis en place une structure de formation d'imams néerlandais. Dans la même logique, le Royaume-Uni refuse d'accorder un visa aux imams ne pouvant pas prouver qu'ils maîtrisent l'anglais. Certains politiciens en Allemagne, en Italie et France veulent également forcer les imams à prêcher, en toute transparence, dans la langue du pays d’accueil et de permettre aux autorités de pouvoir comprendre ce qu'ils disent, surtout dans la mesure où ils s'adressent à des fidèles de seconde génération très majoritairement hollandais, allemands, italiens ou français.

Sur le plan théologico-juridique, des avis divergents se dégagent toutefois de la tradition musulmane. Chez les hanbalites (courant majoritaire en Arabie saoudite), le prêche ne peut se faire dans une autre langue que l’arabe, sauf « en cas de besoin ». Chez les malékites et chaféites, le prêche faite dans une autre langue que l’arabe n’est tout simplement pas valide. Enfin, pour les hanafites, le courant le plus présent chez les musulmans non-arabes, il est recommandé de prêcher en arabe, mais ce n’est pas « obligatoire ». Le casse-tête se poursuit.

En finir avec les imams « détachés »

En 2020, pour en finir avec le séparatisme islamiste, Emmanuel Macron annonce la fin progressive, en France, des imams « détachés » par les pays d’origine, un système accusé d’alimenter un « islam consulaire » marqué par des pays autoritaires et radicaux. Il est aussi reproché à ces imams leur acculturation, soit d’être insuffisamment familiers du contexte culturel et social français, beaucoup n’étant pas francophones. Relativement bien appliquée en Autriche, cette énième proposition s’échoue à nouveau sur les berges du religieux. Une telle interdiction pourrait se heurter à des fidèles français qui voient souvent dans ces imams étrangers une « parole d’autorité ».

Comment sortir de l’impasse ?

Malgré les pistes nombreuses, le casse-tête des imams radicaux en Europe demeure entier. Comment sortir de l’impasse ? Il n’existe aucune solution « consensuelle » miracle pour éradiquer le phénomène. D’autant plus que le réel des vecteurs de diffusion de la pensée extrême s'est totalement déplacé. Le danger n'est plus tant le prêche du vendredi dans les mosquées salafistes, mais plutôt la circulation de conférenciers itinérants qui se déplacent dans les cités pour séduire des jeunes par des discours radicaux de haine et de violence en échappant au contrôle des mosquées.

En outre, la plupart des manuels utilisés pour les cours dispensés lors des formations dans les mosquées se retrouvent désormais, au nom de la liberté d’expression, en vente libre en librairie et sur le net au nom de la liberté d’expression. Enfin, certains experts avertissent que la répression de l'activité publique des imams « prêcheurs de haine » risque de faire apparaître un plus grand nombre d'imams plus « discrets » qui endoctrinent les jeunes via les réseaux sociaux et autres outils virtuels.

Plus de fermeté !

Nos démocraties acceptent certes une grande variété de discours. C’est un indice de leur force et de leur confiance en elles-mêmes. Mais cette tolérance n’est pas inconditionnelle. La méthode des « petits pas sur des œufs », propre au communautarisme, produit des signaux faibles. On ne peut tolérer la prolifération d’idées obscurantistes non seulement incompatibles avec notre mode de vie, mais ouvertement hostiles à celui-ci. Et on ne peut imaginer régler des questions aussi délicates en misant sur l’improvisation et le tâtonnement. Il faut voir la réalité en face : l'influence frériste a une vision, une identité et un plan. Il faut urgemment durcir notre arsenal législatif pour qu’il réponde efficacement à la menace intégriste qui soutient un suprémacisme musulman, conquérant et totalitaire.