Le futur métro francilien sera plus qu’un métro. Le Grand Paris Express (GPE) transformera profondément le paysage des sept départements entourant la capitale et boostera son économie. Les chiffres avancés par la Société du Grand Paris (SGP) éclairent sur l’échelle du projet : 68 nouvelles gares, 200km de tunnels et 600.000m2 de projets immobiliers connexes. 170 chantiers sont en cours dans l'Île-de-France pour creuser les galeries des futures lignes de métro.Sur le terrain on compte 8 tunneliers, 3.200 entreprises et 6.700 hommes pour le plus important chantier souterrain d’Europe. 

Une surdose de pénuries

Mais, le temps presse. Avec à l’horizon les JO de 2024, certaines lignes en travaux comme la 14 ou 16 accélèrent la cadence, avec un travail 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 et des tunneliers qui avancent jusqu’à 12 mètres par jours. Ceci n’est pas sans conséquences. Les entreprises du secteur saturent et peinent à assurer la bonne gestion des différents chantiers devenus soudainement beaucoup plus nombreux et plus importants. « Elles sont en surcharge et ont du mal à dégager les compétences nécessaires », explique anonymement un cadre du secteur dans les colonnes de Les Échos. « Bureaux d’études, entreprises du bâtiment, ressources humaines, c’est la surdose de pénuries et le secteur peine à suivre la cadence au risque de peser sur la qualité du travail final ». Des accidents de travail se multiplient et certains s’avèrent fatals.

Un chantier cimetière

Le 28 février 2020, Maxime Wagner (37 ans) intérimaire pour Dodin Campenon-Bernard, filiale de Vinci, travaille sur le chantier de prolongement de la ligne 14, à Villejuif. Au sein du tunnelier, il s’affaire à déboucher une conduite en métal dont la partie finale est souple. Quand il arrive à ses fins, la pression de l’air qui sort de la conduite est telle que celle-ci fait un large mouvement de coup de fouet et vient violemment le heurter à la tête. Hospitalisé en urgence absolue, il souffre de multiples lésions cérébrales. Trois semaines plus tard, l’ouvrier décèdera de ses blessures. L’enquête de l’inspection du travail relève plusieurs infractions potentielles dans le chef de son employeur, dont un défaut d’information sur l’utilisation du matériel. La mort de Maxime Wagner n’est que la première d’une longue série.

Des morts en cascade

Un deuxième ouvrier, un apprenti de 21 ans, décèdera en mai 2020, sur le chantier du RER Eole, à Pantin, et un troisième, salarié de l’entreprise Eiffage, sera retrouvé mort le 22 décembre 2020 sur le chantier de la ligne 16 au Bourget, l'une des infrastructures clés du futur Grand Paris Express et qui sera la plus fréquentée du réseau, chargée d'assurer la correspondance entre les lignes 14, 15, 16 et 17 et le RER. Abdoulaye Soumahoro, 41 ans, y laissera la vie après une chute dans une cuve à broyer située à 30 mètres de profondeur. L’immense malaxeur à béton cède sous son poids. Il meurt coincé dans l’engin. 

Un quatrième ouvrier d’origine portugaise, João F. qui prestait pour le compte de la société Besix, décèdera le 5 janvier 2022 à la gare de Saint-Denis-Pleyel. Une chute de matériel métallique est à l’origine de l’accident. L’homme était au fond d’un puit, 7 mètres plus bas,  quand un engin de levage manœuvré par un ouvrier d’une société sous-traitante aurait entraîné la chute d’une plaque métallique de 250kg qui protégeait une trémie. Malgré l’intervention des pompiers, en arrêt cardio-respiratoire, il décèdera sur place. Jeudi 6 avril 2023, un autre ouvrier de 22 ans, perdra la vie sur le chantier de construction de la ligne 17 du métro, à Gonesse (Val-d'Oise), victime de la chute d'un bloc de béton. Dégagé par une grue présente sur le chantier, il succombera également à ses blessures sur les lieux.

Une pression constante

Plusieurs dizaines d’ouvriers sont également régulièrement grièvement blessées. Doigts coupés, jambe arrachée, perte d’un pied, poly fractures ouvertes, presque à chaque fois, les premières observations dévoilent des règles de sécurité non respectées ou un problème d’organisation du travail. Mais, la principale cause semble être la pression exercée sur les travailleurs et les horaires dépassant largement le cadre légal. Pour gagner du temps, les conditions de travail sont bafouées par certains prestataires. Au moins 75% des ouvriers sont des intérimaires, des stagiaires, des travailleurs détachés et des sans-papiers. Des précaires, souvent plus dociles et moins bien équipés en équipements de protection, qui s’exécutent pour ne pas perdre leur emploi.

Aux ordres du calendrier

Le vrai chef sur ce chantier semble être le « calendrier à devoir respecter ». Il fixe les jalons. Et la sécurité, priorité première, ne se retrouve a priori pas en pool position. Elle est encore moins une variable d’ajustement pour la tenue des objectifs rutilants de ce calendrier : faire de La France, la « capitale mondiale du sport » ! Sur ce projet aux aspirations éphémères, les ouvriers travaillent comme des Hercule. Des dérogations pour autoriser le travail le dimanche ont même été accordées aux entreprises prestataires. 

Selon les chiffres publiés par Eurostat en 2022, avec plus de 1.000 morts par an, la France est le pays de l’Union européenne qui compte le plus d’accidents et de décès au travail. Tous les jours, un ouvrier du secteur de la construction meurt sur un chantier et toutes les cinq minutes, il y a un accident du travail. 

Mais pourquoi donc cette hécatombe de vies humaines particulièrement sur le chantier du GPE ? Les nouvelles lignes de métro doivent être une plus-value pour « vendre », en périphérie, une organisation « rentable » de l’événement, même si au prix de quelques vies, apparemment. 

Les mémoires sont décidément très courtes. Le Mondial de football 2022, au Qatar, a pourtant déjà été l’occasion de dénoncer ces « chantiers du scandale ». Une question dès lors taraude : Comment franchir, sans scrupules, les portes d’un stade dont les murs se dressent sur des croix ? Celles de travailleurs anonymes - à la merci d’un système sans scrupules - qui sont morts…. au nom du sport (sic !).