Le président Vladimir Poutine n'a pas encore annoncé officiellement son intention de se représenter l'année prochaine, mais il pourrait déjà avoir une concurrente potentielle improbable en la personne de Yekaterina Duntsova, une ancienne journaliste de 40 ans de la région de Tver qui a annoncé sa candidature à la présidence fin novembre dernier. Née en Sibérie, la jeune femme a construit sa carrière d’avocate, et ensuite de journaliste, dans la ville historique de Rjev, située à quelque 230 kilomètres à l'ouest de Moscou. Jusque-là inconnue du grand public, elle se présente comme une démocrate. « Pourquoi ai-je pris cette décision ? J'aime notre pays, je veux que la Russie soit un État démocratique et pacifique prospère. Mais à l'heure actuelle, notre pays prend une direction complètement différente. Nous devons réagir ! », a-t-elle déclaré dans un communiqué.

« Je suis différente en ce sens que je suis davantage immergée dans le discours politique local, dans les questions de gouvernance locale », a-t-elle précisé dans une interview accordée au Moscow Times. « Chaque jour, la vie des Russes ordinaires devient de plus en plus difficile. Les citoyens ne peuvent pas exprimer librement leurs opinions si elles ne coïncident pas avec la position des autorités. Tous leurs soucis, tous leurs problèmes me sont proches et chers. Il faut changer les priorités : dépenser de l'argent pour améliorer la vie des citoyens, et non pour de nouveaux chars et ramene les libertés qui ont été supprimées ».

A la recherche de signatures

Si Yekaterina Duntsova a déjà une première expérience en politique à son actif, puisqu’elle a été élue en 2019 à la Douma de la ville de Rjev, une petite ville d’environ 60.000 habitants, la route vers la présidence est cependant encore longue. La loi électorale russe exige tout d'abord que la candidature de Y. Duntsova soit soutenue par un groupe d'intérêt spécial de 500 personnes, qui doit se réunir en un seul lieu pour soutenir son candidat. Une fois cette étape franchie, Y. Duntsova doit recueillir 300.000 signatures d'électeurs uniques dans au moins 40 régions de Russie et soumettre la liste à la commission électorale centrale pour examen.

Une prise de risques ?

Si elle est élue, la candidate promet aussi de libérer tous les prisonniers politiques. Un point de son programme électoral qui fait d’elle une opposante au régime et qui de facto, la met directement en danger. Bien que ses premières déclarations soient soigneusement mesurées pour se conformer aux strictes lois russes sur la censure, qui interdisent notamment, de qualifier l'invasion de l'Ukraine de « guerre », à la suite de l’annonce de sa candidature, Y. Duntsova a été instantanément convoquée au bureau du procureur pour discuter du contenu de sa future campagne. À la fin de la réunion, la future candidate aurait été invitée à signer un document confirmant la propriété de son compte sur le réseau de médias sociaux VKontakte, ce qui lui fait endosser l’entière responsabilité personnelle de ses dires.

Mais, lorsqu'on lui demande si elle a peur de mener une campagne politique dans un pays où toute frustration potentielle du Kremlin peut conduire en prison, Y. Duntsova affirme être décidée et n’avoir aucune crainte. « Je veux montrer par mon exemple que l'on peut résister. Je veux donner de l'espoir à d'autres personnes. Je n'ai pas peur parce que, surtout, mes enfants, ma famille et mes proches me soutiennent. Ils sont prêts, alors je le suis aussi ».

Une véritable trublionne ?

L'opposition libérale russe, qui est presque entièrement en exil, doit encore élaborer une stratégie unique pour la première élection présidentielle du pays en temps de guerre. Alors que certains pensent qu'un seul candidat devrait représenter le mouvement fracturé, d'autres préconisent de boycotter le vote. Yekaterina Duntsova, qui semble étrangère au mouvement anti-Poutine, ne soutient aucun de ces deux camps, espérant plutôt que davantage de candidats indépendants se joindront à la course et rallieront leurs partisans pour qu'ils se rendent aux urnes. 

La candidature de la jeune femme a d’ores et déjà alimenté les spéculations selon lesquelles elle pourrait être un candidat brouilleur de pistes soutenu par le Kremlin. « Je ne suis absolument pas une trouble-fête. C'est ma décision et je la mettrai en œuvre dans la mesure de mes capacités », a déclaré en réponse Y. Duntsova au Moscow Times.

Y. Duntsova est-elle un pion stratégique du Kremlin ou une véritable trublionne démocratique sans grande chance, a priori, de peser dans les prochaines élections présidentielles russes ? La question reste ouverte à ce stade. Affaire à suivre …