Des prosumers bientôt consumés ?

Le renforcement continu du réseau, nécessaire pour faire face au taux de pénétration croissant des renouvelables intermittents, recèle un effet électrique délétère peu connu : toujours plus de production d’électricité « verte » implique évidemment toujours plus de courant sur le réseau en fonctionnement normal ; mais avec comme conséquence non souhaitée de permettre également le passage de toujours plus de courant en situation anormale, comme lors d’un court-circuit accidentel. 

Ces considérations ont récemment fait l’objet d’une publication émanant d’un spécialiste reconnu (qui enseigne les réseaux électriques à de futurs ingénieurs).

Il existe en Belgique une prescription légale concernant le courant de court-circuit : il est considéré comme devant rester inférieur à 3000 A maximum, par installation domestique. Ceci est repris dans le Règlement Général sur les Installations Electriques, qui a force de loi.

Or, cette limite de 3000 A est actuellement de plus en plus souvent dépassée, avec la prolifération de panneaux solaires et le renforcement des réseaux, obligatoirement associé. L’argument alors généralement avancé du recours à des batteries locales ne peut guère résoudre le problème. Que du contraire, il risquerait de l’amplifier, étant donné que cet ajout de batteries ne contribuerait qu’à encore augmenter l’afflux de courant en cas de court-circuit accidentel : des batteries chargées sont une source de courant supplémentaire, ce qui augmente encore la puissance globale de court-circuit dans l’installation à laquelle elles sont connectées.

Ce problème de courant de court-circuit n’est pratiquement jamais abordé. Par négligence ou, plus souvent, par ignorance. Il demeure malgré tout un garde-fou électrotechnique légal, indispensable pour assurer la sécurité des personnes et des biens connectés au réseau. Ne pas le respecter expose à un risque accru d’incendie en cas de court-circuit accidentel. 

Une responsabilité mal assumée ?

Il incombe aux gestionnaires de réseau électrique de vérifier que cette limite légale de 3000 A par installation ne pourra jamais être dépassée lors d’un court-circuit accidentel. Un cadastre des producteurs locaux d’énergies renouvelables intermittentes devrait permettre de rencontrer cet objectif, à condition de faire l’objet d’un suivi rigoureux.

En cas de risque de dépassement de la limite des 3000 A, et en l’absence de mesures techniques correctives, le gestionnaire de réseau devrait normalement interdire, pour raisons de sécurité, le branchement de nouvelles installations photovoltaïques sur le réseau. Il n’est guère difficile d’imaginer le sentiment de frustration qui en résulterait, parmi les citoyens candidats au photovoltaïque. Sans compter l’inévitable colère des marchands de panneaux et des installateurs. Il est donc plus confortable pour certains de rester dans leur zone de confort.

Un événement avéré

L’auteur de ces lignes peut témoigner que, dans son entourage, une famille l’a échappé belle car elle a vécu un départ de feu électrique, peu de temps après la mise en service de matériel photovoltaïque flambant neuf (sic !).

De l’aveu gêné des différentes parties impliquées (fournisseur, entrepreneur et autorités régionales), ce cas serait loin d’être unique. Les propriétaires n’ont dû leur salut qu’au fait qu’ils étaient présents (et éveillés) lors de l’accident. Sinon, leur maison serait plus que probablement partie en fumée. Idem pour les maisons mitoyennes.

L’arbre des causes révèle que c’est un défaut de câblage qui est à l’origine du sinistre. Mais les conséquences de celui-ci ont été considérablement amplifiées, en raison d’un courant de court-circuit gravement sous-estimé. Il semble même que personne ne se soit jamais posé la moindre question à ce sujet lors de la phase préparatoire des travaux.

Une (bête) image rattrapée par la (brutale) réalité

Jacques Chirac avait employé cette pénible métaphore en 2002 à propos du climat : « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Actuellement, de vraies maisons risquent vraiment de brûler plus facilement, à cause de la croissance incontrôlée du photovoltaïque, sous prétexte d’urgence climatique. 

A cause également d’un manque de rigueur de la part de certains gestionnaires de réseau. Et aussi probablement par l’incompétence de quelques installateurs peu scrupuleux, qui profitent de l’engouement d’un public souvent malavisé mais soucieux d’adopter une posture morale « vertueuse » en matière énergétique. A cet égard, la chasse aux primes octroyées ainsi que d’alléchantes perspectives de réduction des factures d’électricité constituent souvent des motivations encore bien plus puissantes.

Des prosumers déjà lésés

Le réseau électrique n’a historiquement pas été dimensionné pour accueillir de nombreuses petites unités décentralisées de production, à l’inertie ridiculement faible par rapport aux centrales électriques. Il s’ensuit des instabilités notoires. Il existe ainsi de grandes probabilités de surtensions locales et de mise hors service automatique des installations photovoltaïques par décrochage des onduleurs. De tels dysfonctionnements ont déjà été observés. Les surtensions et mises hors service empêchent les propriétaires de pouvoir bénéficier de leur production, ce qui représente pour eux un manque à gagner.

Le comble de l’absurdité énergétique est atteint, lorsque les propriétaires de panneaux sont parfois encouragés par leur opérateur à maximiser leur autoconsommation, même en l’absence de réels besoins électriques, afin de ne pas déstabiliser la tension du réseau.

Le renforcement de la section des câbles électriques du réseau constitue une mesure corrective efficace pour lutter contre le décrochage des onduleurs. Mais elle entraîne la dangereuse dérive de l’augmentation des courants de courts-circuits, comme nous l’avons vu. Ainsi, résoudre un problème électrotechnique, causé par une transition énergétique bâclée parce qu’avant tout idéologique, en provoque finalement un autre.

Tout ça pour ça

Après environ 25 ans d’obstination, le vent et le soleil n’ont réussi à produire que 3 % (trois pourcents !) du bilan de l’énergie primaire consommée en Europe et dans le monde, malgré un subventionnement massif d’argent public se chiffrant en centaines de milliards d’€.

C’est un échec retentissant, qui résulte d’une méconnaissance profonde des réalités énergétiques. Déployer toujours plus d’éolien et de photovoltaïque ne sert strictement à rien parce que, lorsque vent et soleil font défaut, c’est quasi toujours à l’échelle de plusieurs pays, voire de tout un pan de continent. Dans de telles circonstances, importer de l’électricité « verte » via le réseau relève de la grande illusion.

Lorsque dans le monde réel, le vent et le soleil sont absents ou insuffisants, on doit recourir à des centrales au gaz, en guise de parachute électro-énergétique. Sinon, ce serait l’effondrement du réseau, qui se traduirait au mieux par des délestages locaux ; au pire par un black-out total. Cette indispensable doublure des renouvelables intermittents par du gaz explique en grande partie l’envol de nos factures d’électricité.

De plus, comme souligné par ce spécialiste, l’électricité n’est pas la principale forme d’énergie finale (l’énergie finale étant celle utilisable directement) : elle ne représente que 23% du total de l’énergie finale dans l’UE. En ne se focalisant que sur les moyens de production d’électricité, on passe donc à côté de plus des trois quarts des autres formes d’énergie finale (transports et chauffage, y compris chaleur industrielle). Hypocrisie et/ou incompétence ?

Si l’on souhaite électrifier de plus en plus d’applications, la condition sine qua non à respecter serait que des moyens de production adéquats et efficaces soient déployés en quantité suffisante ; que l’on veille aussi bien mieux à la sécurité électrique des usagers des réseaux.

Michel Pollyn
Ingénieur électromécanicien – Master post-universitaire en Sciences de l’Energie