Née d’un père sévère par la virulence de l'époque et d’une mère affaiblie par les grossesses successives, l’avenir de Corentine était simple, soit se résoudre à trimer aux champs toute sa vie soit accepter de travailler en dehors de la cellule familiale. La petite Bretonne en larmes est vendue par sa mère, parce qu’elle-même crève de faim, à un marchand de chevaux de Roudouallec. Village rocailleux entre Vannes et Quimper dans le Morbihan. Corentine a sept ans :  « Les enfants ne pouvaient pourtant travailler qu’à partir de 10 ans. Mais Corentine y restera, car chez son employeur au moins elle avait du pain… La faim va hanter toute sa vie. » 

À douze ans, ne parlant quasiment pas le français, elle part comme domestique à Paris. Elle y connaît les humiliations, l'exploitation, le mépris, la violence d'un monde qui n'épargne rien ni personne. Corentine passe par des placements dans des maisons bourgeoises, puis aristocratiques. Ses différentes patronnes dominées par leurs époux sont des femmes finalement aux mêmes abimes de soumission que Corentine. Ce seront ses marches à gravir pour progresser. 

La grand-mère maternelle de Roselyne va ainsi en baver sans jamais se poser en victime. Les échecs resteront sa force de vivre. Quelques rencontres lui apporteront de l’aide.  Comme, Jules Le Bris, cet homme qui deviendra son époux. Il va lui apprendre à lire et à écrire. Il va la respecter, l’apprivoiser ne la considérant pas comme une épouse enchaînée. Il est la chance de Corentine. Hélas, alors qu’elle est enceinte d’une petite fille son mari va mourir. Il meurt pour la France, le 26 septembre 1914. Il avait vingt-six ans. Les grands mots ‘donner sa vie pour la France’ ne résonnaient pas dans la tête comme un honneur, le seul présent pour elle c’était l’enfant qu’elle portait, fruit de son amour. Cet enfant naitra sous le nom de Juliette : « le temps n’était plus à l’attendrissement et aux mamours. Il fallait se remettre au travail. »

Juliette est placée chez une nourrice et Corentine travaille. Ouvrière à Nantes dans une usine d’obus, elle soulève des pièces de cent kilos. Des journées harassantes de dix heures avec uniquement une pause de trente minutes le temps d’avaler le contenu d’une gamelle. 

Corentine fera des rencontres avec des militants syndicalistes qui vont lui apprendre que rien n’est gagné si l’on ne se bat pas. Elle aperçoit une forme d’horizon constructif. Elle comprend que le combat syndical n’est pas réservé qu’aux hommes. Les femmes prennent leurs destins en main puisque les hommes sont au front. Cependant la lutte syndicale n’apporte pas l’égalité entre les sexes.

Après la guerre, la vie de Corentine reprend de l’espoir sur la dureté. Elle retourne en Bretagne et monte un commerce de vêtements. C’est ainsi qu’elle rencontre François tailleur, fou d’elle avec qui elle se remariera en mai 1919. De nombreuses femmes jalouses en voulaient à Corentine d’avoir trouvé époux, car tant d’hommes du village étaient morts à la guerre. Un fils viendra au monde en y restant que six ans emportés d’une pneumonie. Yvette, la mère de Roselyne Bachelot, sera la seconde fille du couple. François les poumons rongés par les gaz de la guerre et par l’abus de l’absinthe s’étendra à cinquante-six ans.

Corentine n’avait pas peur de ceux qui voulaient la dominer. La guerre de 1940 montrera sa force hallucinante. Corentine aidera les maquisards.

L’existence et l’exemplarité de Corentine ont toujours accompagné Roselyne. Corentine partira en juillet 1969,le jour ou Armstrong pose le pied sur la lune. «  Ma grand-mère m’a légué le bien le plus précieux, savoir qu’il faut se battre pour transformer sa vie en destin » écrit et signe Roselyne Bachelot. Les « Corentine » ne sont pas simplement perchées sur un arbre généalogique familial. Corentine reste une femme de notre époque. C’est un héritage collectif des classes populaires qui nous est raconté.