« L'École de la transmission des savoirs et de la formation des citoyens est à l'agonie. Sa mort programmée prend racines dans les dérives successives de notre système scolaire. Adaptée aux nécessités du marché, elle fabrique à la chaîne une masse de consommateurs semi-illettrés et satisfaits d'eux-mêmes ». Au chevet de l’école, un constat saignant : elle est mal en point. 

Ce n’est pas la faute au Covid

Aux fins de se disculper de ces ratés, « médicaliser » le séisme serait facilement tentant. Ce n’est pourtant pas la faute au récent covid. Education nouvelle et pédagogisme, méthode globale, classes inversées, laïcité à géométrie variable et suppression des cours d’histoire et de géographie à la faveur de catégories « fourre-tout » sont autant de causes endogènes. C’est oublier que la mémoire historique n’est pas superflue ou d’une importance relative. L’enseignement de l’histoire comme l’étude géopolitique rendent visible la marché du passé pour comprendre la réalité du présent. A l’inverse, les peuples sans mémoire n’ont pas d’avenir.

De même, pour ce qui est du français, la disparition progressive des temps - subjonctif, passé simple, imparfait, formes composées du futur et participe passé - donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps. Comment envisager un avenir pluriel sans conjugaisons plurielles ? Moins de mots et moins de verbes conjugués, c’est aussi autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression. L’usage abusif des onomatopées offre moins de possibilités d’élaborer une pensée. Dommage collatéral, de nombreuses études en sciences cognitives ont démontré un lien direct entre la violence dans la sphère publique et privée et l’incapacité à mettre des mots sur les émotions. 

Des consommateurs ubérisés

La société n’a pas besoin d’un peuple instruit, estime Jean-Paul Brighelli, mais de « consommateurs semi-illettrés, susceptibles d’être déplacés comme des pions dans un système ubérisé des pieds à la tête, abrutis de télévision, manipulés à chaque élection pour la plus grande gloire d’une caste en auto-remplacement (…) Autrefois, on disait panem et circenses, du pain et des jeux. Actuellement, on dit salaire universel et foot (…) Ça suffit à tenir une société, et à la tenir très longtemps. »

Du côté des « maîtres d’école », la pénurie d’enseignants nuit aussi gravement à la qualité scolaire. Elle a pour conséquence le burn-out de longue durée, la multiplication de cours non assurés ou assurés par des enseignants sans titres requis. Elle génère aussi désordres et inégalités sociales dans l’accès au savoir. Le manque de soutien de la hiérarchie et la surcharge administrative, assimilant les professeurs à des techniciens qualifiés et non plus à des praticiens de l’action pédagogique, gardiens du temple de l’érudition et neurotransmetteurs, ont terminé de tuer la fonction. 

Renouer avec l’excellence

« L'École est aujourd’hui au pied du mur », alerte Jean-Paul Brighelli. « Elle sera soit l'instrument d'une dissolution dans l'individualisme et le communautarisme, soit l'outil d'une résurrection ». Selon l’indicateur synthétique de qualité des systèmes éducatifs des pays de l’OCDE, qui est le premier de ce type développé dans le monde, la Belgique occupe le 21ème rang sur 34 pays. Cette information peu brillante confirme les résultats des études PISA.

Est-il trop tard pour réagir ? Si un cri de ralliement doit se faire entendre, c’est celui de l’excellence, non pas dans son sens se rapportant à l’élite, mais dans celui qui s’oppose au nivellement facile par le bas. Faisons parler, lire, écrire, calculer, réfléchir nos enfants. La gymnastique cérébrale est gratuite et bonne pour la santé mentale. Reste la question de l’effort. Même s’il semble compliqué, surtout s’il est compliqué, c’est dans l’effort que se trouve la liberté. Et il n’y a pas de liberté intellectuelle sans exigences. Aux grandes réformes de l'école, pensées loin de la base en Fédération Wallonie-Bruxelles, préférons urgemment un retour aux fondamentaux de l’apprentissage.