Esther, Layla, Hélène. Elles se connaissent depuis toujours. Aujourd'hui, l'une d'elles est couchée dans cette boîte scellée. Les deux qui restent la regardent s'enfoncer dans la fosse, comme si, à l'intérieur, il y avait un peu d'elles-mêmes. Les yeux de l'une sont gonflés à force de larmes derrière les verres fumés. Ceux de l'autre, clouée sur un fauteuil roulant, sont restés secs.

Plusieurs semaines auparavant

À l’aube de la quarantaine, Esther Azoulay se demandait si elle était vraiment prête à tout quitter. Bientôt vingt années à traquer les criminels. Qu’elle soit montée en grade plus rapidement que Layla n’avait pas ébranlé leur amitié, ni leur pacte. Elle avait été promue lieutenante à trente et un ans. Une ascension qui concluait de belles années à la police judiciaire d’Auxerre, après un passage difficile en banlieue parisienne, et qui se concrétisait par une mutation à Lyon la même année. Layla l’avait suivie comme son ombre dès qu’elle avait pu. Mais aujourd’hui Esther quittait la police, sa famille. Marre de risquer sa vie pour un simple contrôle d’identité, de voir des collègues se faire agresser ou immoler. Elle avait assez donné.

Hélène Gorce et Gauthier Maréchal s’étaient rencontrés sur un terrain de rugby à Lyon, un soir de match particulièrement animé. Lieutenant à la BAC (brigade anti-criminalité), Maréchal avait réussi à approcher Hélène. Au premier regard, les mots étaient devenus superflus. Leurs âmes s’étaient reconnues et s’étaient aussitôt connectées, comme deux échantillons d’ADN d’un seul individu. Un mois plus tard, Hélène Gorce demandait sa mutation à la PJ de Lyon.

Layla alternait la garde de sa fille Nour avec le père de celle-ci, Medhi Cherkaoui, un enfant de la cité lui aussi, né aux Minguettes, devenu créateur de jeux vidéo. Cherkaoui se noyait dans les vapeurs de cannabis de l’alcool. Il avait été condamné à trois ans ferme pour coups et violence conjugale aggravée, avant d’être relâché pour bonne conduite. Désormais, il subissait une injonction d’éloignement et ne pouvait voir sa fille que dans des lieux publics sous surveillance, accompagnée de sa mère ou de ses grands-parents. Pour le moment, il se tenait à carreau.

C’est au moment du pot de départ en l’honneur d’Esther que Marc d’Orsay, ancien coéquipier et binôme, fit son apparition. Un personnage toxique. D’Orsay était un prédateur-né, un traqueur dans l’âme. Il était à Esther ce qu’une seringue était à un ex-camé. Tentation et répulsion. 

Sonja Delzongle nous laisse entrer dans l’intimité de ces couples,  nous montre les improbables équilibres, l’aspiration des unes et des autres à une autre vie. Il y a tant de drames cachés.

C’est dans ce contexte que la quatrième de couverture du roman tombe à point.

Thanatea. Un nom qui sonne comme celui d'une femme ou d'une déesse. Un mot plutôt agréable, exotique, à condition de ne pas en connaître la racine grecque, thanatos, la mort. Le plus long des voyages. L'éternité.

Une autre qu'Esther aurait sûrement pris peur mais, durant ses années passées à la police judiciaire, celle-ci a côtoyé la mort sous ses aspects les plus sombres, les plus violents. Un quotidien qui l'a usée, au point d'être prête à tout quitter pour rejoindre cette entreprise de pompes funèbres située au cœur du lac Léman. Et même si ce nouvel environnement s'annonce quelque peu macabre, au moins elle n'aura plus à voir les stigmates d'un meurtre sur la chair, les organes, les os. Là-bas, la mort sera un concept, du marketing, elle sera travaillée, pensée, enrobée dans du velours ou du satin. Là-bas, Esther espère trouver enfin la paix…

Sonja Delzongle nous offre un roman merveilleusement bien équilibré. Des faits, des personnages, des manipulateurs très discrets et un sens du rythme effréné. Le lecteur tirera de subtiles mais oh combien trop hâtives conclusions. Les marionnettes seront désorientées par le poivre dont l’auteur saupoudre dans son récit. La chasse au plus fin est lancée. Bonne traque !

Thanatea – Sonja Delzongle – Fleuve noir Éditions – 2023 – ISBN 9782265156173