Des parallèles historiques sont de nature à susciter une atmosphère d'inquiétude au Kremlin. Depuis le milieu du XIXe siècle, la Russie affiche un enchaînement de déroutes militaires et de contrecoups politiques, relève Vandamme. Il prend comme premier exemple les événements de Crimée, pas l'annexion de 2014, mais la guerre qui opposa l'Empire russe à une coalition formée de l'Empire ottoman, de l'Empire français, du Royaume-Uni et du Royaume de Sardaigne de 1853 à 1856. Provoquée par l'expansionnisme russe - encore ! -, le conflit se déroula essentiellement autour de la base navale de Sébastopol en Crimée et se termina par la défaite de la Russie, entérinée par le traité de Paris de 1856. S'ensuivit, en Russie, l'abolition du servage, un bouleversement politique dans le paysage de l'époque.

La guerre russo-japonaise, qui opposa l'Empire russe à l'Empire du Japon du 8 février 1904 au 5 septembre 1905 et préfigura les guerres modernes, eut aussi des conséquences dramatiques pour la Russie, à savoir, outre des pertes territoriales (la péninsule du Guandong et la moitié méridionale de l'île de Sakhaline) sanctionnées par le traité de Portsmouth (E.-U.), une période d'agitation politique et sociale engendrée par l'impopularité de la guerre et connue sous le nom de Révolution de 1905, laquelle annonça celle déclenchée par Lénine en 1917 à la suite de l'effondrement du front russe pendant la Première Guerre mondiale.

Enfin, la guerre d'Afghanistan qui opposa l'armée de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) aux moudjahidines (« guerriers saints ») du 27 décembre 1979 au 15 février 1989 fut suivie à un an près du démantèlement de l'Union soviétique, un événement décrit par l'occupant actuel du Kremlin comme « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ».

Une brève opération militaire ?

A présent, c'est la guerre en Ukraine, censée n'être au départ qu'une brève opération militaire afin de neutraliser le régime en place, qui semble se transformer en une déroute. Cela suscite la grogne au sein de l'élite et pose la question de savoir si Poutine peut y survivre politiquement.

Ici aussi, observe Vandamme, on peut chercher des parallèles historiques. Une étude réalisée par les universitaires Chiozza et Goemans, publiée en 2000 dans le Journal of Conflict Resolution, indique que les dictateurs ont de bonnes chances de surmonter une défaite militaire. Ces chercheurs ont examiné toutes les guerres de 1919 jusqu'au début du millénaire et concluent à une chance de survie de 50 %. En outre, ceux qui survivent à la première année peuvent se maintenir pendant une période plus longue. Un exemple type est celui de Saddam Hussein qui, après avoir été écrasé au Koweït, a pu terroriser son peuple pendant douze années supplémentaires.

La possibilité d’un putsch ?

La question de la survie de Poutine est inextricablement liée à la possibilité d'un putsch. Le mécontentement croissant est avéré, mais la complexité du régime l'est tout autant. Au fil du temps, le dictateur russe a construit un réseau d'organisations s'espionnant les unes les autres et hérissées les unes contre les autres. « Les mécontents sont trop divisés », explique Andreï Kolesnikov de la Fondation Carnegie. « Ils ont peur de Poutine et les uns des autres. Cela laisse au président russe suffisamment de pouvoir pour écarter la menace d'un coup d'État. »

Dans un article paru dans Foreign Affairs, Daniel Treisman, co-auteur de Spin Dictators - The Changing Face of Tyranny in the 21st Century, met en évidence un autre risque plus important, avertit Vandamme, une implosion du régime en raison des nombreuses difficultés économiques et sociales qu'il affronte. Le chaos ferait passer Moscou encore un peu plus sous l'influence chinoise. C'est une préoccupation récurrente