Mathilde, était DAF. Directrice administrative et Financière. Elle avait négocié et obtenu de sa boîte une année sabbatique. Elle avait laissé mari et enfant à Paris, saisi le grand étui contenant sa guitare, l’instrument de son enfance et décidé de rejoindre la maison louée près d’Ansouis, un charmant village provençal situé dans le Lubéron. Dans le TGV en direction d’Avignon, elle remarqua les œillades que lance un type à sa voisine de compartiment. L’homme a la quarantaine,  une barbe longue parfaitement coiffée, des cheveux poivre et sel rigoureusement alignés. Sa chemise neige à carreaux marrons et son gilet fermé trop étroit semblaient inspirés d’une photo de couverture d’un magazine pour hipsters de mauvais goût des années 2010. Le bellâtre fut rapidement recadré par la dame.

Adrienne, trente-sept ans, sourit alors à Mathilde. Son regard s’arrêta sur l’étui de guitare, en particulier sur une petite plaque en métal.

  • — Votre guitare, c’est une vraie Gibson ? demanda-t-elle.
  • — Oui, c’est une vraie Gibson. Vous êtes musicienne ?
  • — Pas moi. Mais mon mec est musicien.

Adrienne. La Dame Blanche. L’artiste dansait dans les airs,  enchaînant les tableaux poétiques et les figures acrobatiques. Ses exhibitions aériennes faisaient partie des classiques des arts de la rue. Le mystère entourant l’identité de l’artiste se propageait chez les amateurs de spectacles à ciel ouvert. À la fin de chacun de ses shows, elle restait un long moment tapie dans les hautes feuilles, pour entretenir le mythe qui voulait que personne ne sache qui se cachait derrière le personnage de la Dame Blanche. Parfois, des spectateurs attendaient assez longtemps pour voir l’artiste descendre de son arbre et découvrir… une femme à la peau métissée. Lorsqu’ils l’abordaient, elle prétendait être muette, un mensonge nécessaire pour nourrir le mythe autour de son spectacle. Elle assumait sa vie de bohème, ce chemin inconnu qu’elle avait choisi. Semaine après semaine, mois après mois, années après années, elle avait appris à survivre dans la jungle, à maintenir les prédateurs à distance, à éviter les situations dangereuses, et à mieux réfléchir avant d’agir. Quand sa vie devenait trop pesante, elle trouvait un arbre, pendait ses tissus à une solide branche, et s’envolait dans les airs. Dès que ses pieds quittaient le sol, elle se sentait bien, à l’abri dans son refuge. « J’ai choisi une voie solitaire », se répétait-elle souvent.

« Marco », le compagnon d’Adrienne, avait une quarantaine d’année, une longue tignasse de cheveux châtain clair. Le « Marc-Olivier » de « Star de Demain », dont la gloire éphémère a traversé le firmament de la scène il y a plus de quinze ans, gérait depuis une dizaine d’années la boutique Trois Petites Notes de Musique dans une ruelle d’Apt dans le Vaucluse. 

Il vivait dans une vieille bastide provençale perdue au milieu des oliviers. Il aimait y bricoler, mes ses compétences restaient limitées, comme sa patience. Il aimait faire les choses à sa manière, à son rythme, avec les moyens du bord, et ne prêtait aucune attention au regard des autres sur ses réalisations. Depuis sept années, la vie avec Adrienne était douce, leur relation complice, apaisée sauf quand il s’agissait de la carrière de Marco, de sa décision irrévocable de ne plus composer, de ne plus remonter sur scène. Et, d’une manière plus globale, de ne plus entreprendre quoi que ce soit qui puisse le ramener de près ou de loin sous les feux des projecteurs, quelle que soit l’intensité de leur éclat. 

« Pierre-Yves Touzot plante ses personnages dans leurs histoires comme un jardinier plante des arbres. Et leurs racines puisent dans nos nappes lacrymales », écrit délicieusement Tom Noti dans sa généreuse préface.

L’écrivain anime ses personnages, les fait jouer. Mathilde ouvrira ses carnets au musicien. Adrienne avait raison : Mathilde avait des choses à dire, un message à faire passer. Derrière chacune des phrases se cachaient une impalpable nostalgie du temps passé, un besoin vital de partage et une peur bien réelle de la fin.

Mathilde pénétra dans la boutique…

  • — Vous avez lu mes textes ? demanda-t-elle.
  • — Oui, je les ai lus.
  • — Tous ?
  • — Presque tous. À ce propos, vous me devez une nuit de sommeil.
  • — Vous les trouvez comment ? insista t’elle en ignorant le trait d’humour.

Au fil des pages, la mélodie de cette histoire fera danser notre âme. Une trame très bouleversante se tissera rapidement. 

  • — Allez ! On va boire des coups, papoter un peu, et laisser redescendre l’adrénaline.

Une incursion dans le monde de la musique ! Magnifique ouvrage. Un roman à offrir à vos amis.

Mon dernier concert – Pierre-Yves Touzot – Éditions La Trace – 2023 – ISBN 9791097515812