Vingt-quatre chapitres charpentent son ouvrage. Pétillant comme toujours, l’écrivain imaginera les disparus, se rappellera des personnages croisés, rencontrés, fréquentés. Il les reniflera, les suivra… Nichés dans les basques de ces femmes, dans les fracs de ces hommes, nous pénétrons dans leur bulle, dans leur intimité, leurs lieux de travail, de loisirs…

Nous découvrons les rancœurs des uns, les illusions des autres. Nous suivons les tâcherons roués et rabougris, engoncés dans le confort et la routine.  De partout déborde la « Jeune Vague ». Les affinités rapprochent. Les bandes se forment. 

L’art du cinéma, c’est de faire du cinéma. Pour Patrick Roegiers, l’art de l’écriture, c’est d’écrire. Tout est question de grandeur. Les centimètres comptent. Agnès Varda mesure 1 m 50, trois centimètres de plus qu’Édith Piaf qui chante Non, je ne regrette rien… Les différents personnages du roman sont acteurs de la vie, fantômes de la nuit, parfois oiseaux en cage. Pour l’écrivain, ce n’est pas une histoire vraie, mais une histoire qui pourrait être vraie. La vérité elle, se cache derrière les apparences. 

Le vêtement fait l’acteur. L’acteur habille le costume. Si les habits des acteurs à l’écran ne sont jamais froissés, j’ai beaucoup à parier que l’auteur a raturé, ajouté, supprimé, retravaillé ce magnifique texte. Il y a de la musique, de la chanson. C’est un roman de plus de quatre cents pages. Cela valse, cela swingue, cela tourne. Stop Moteur ! La Nouvelle Vague supprime les seconds rôles, emplois subalternes qui cachetonnent dans les films populaires destinés à un large public qui va au cinéma pour se distraire et s’amuser. Tout le monde veut avoir le premier rôle. 

Je ne citerai pas la pléiade de noms d’acteurs, de réalisateurs, de cinéastes, de metteurs en scène… évoqués par l’auteur. Les lecteurs plus âgés s’en souviendront aisément. Les érudits du cinéma les ont reconnus. Nous les lecteurs, les distraits, les absents, les ignorants de toute cette constellation, nous aurons plaisir à découvrir cet univers. 

L’art de l’un de susciter l’émotion. L’art de l’autre de la jouer. Les cinéphiles découvriront nombre de « perles » du cinéma. Les novices débouleront dans cet ouvrage, comme des jeunes chats dans un plat de crustacés.

Les immenses succès populaires détrônent les uns ou projettent les autres au firmament des étoiles. Les scènes se succèdent allègrement. Les pages se tournent tout autant. Poésie, dialogues et textes alternent. Patrick Roegiers nous livre une fine analyse de tout un secteur, de nombre de ses protagonistes. Des séquences brèves, percutantes, nous permettent de découvrir ces artistes en pleine création. Certains sont des distraits, des équilibristes. D’autres sont des perfectionnistes. Ils examinent, ils s’exercent entre les prises de vues. Silence,on tourne ! Les textes, les réparties, les chansons s’enchaînent comme les plats dans la salle d’un restaurant, tenus par les serveurs, artistes de service, élégants sans être guindés, qui filent à pas menus, les bras tendus au-dessus de leur tête.    

Patrick Roegiers est né en 1947 à Ixelles. Comme par hasard, Ixelles, commune de Bruxelles où naît aussi, le 30 mai 1928, Agnès Varda qui deviendra photographe, cinéaste. Ixelles où nait Audrey Hepburn,  le 4 mai 1929, celle qui deviendra une star américaine. Mais cela sera une autre histoire. L’auteur baignera rapidement dans cette culture du cinéma, de la photographie, du théâtre. Il a cela dans le sang. Dès 1964, il étudiera à l’Institut des arts de diffusion pour suivre une formation de comédien. Il écrira pour le théâtre, réalisera des films. Il sera aussi l'auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages sur la photographie, dont des essais. Plonger dans l’écriture d’un roman tel « Nouvelle Vague », c’est pour l’écrivain parcourir la voûte céleste. Il peut mettre un nom sur toutes les étoiles.

Nouvelle Vague – Patrick Roegiers – Éditions Grasset – 2023 – ISBN 9782246829904