André est couvreur. Un bricolo-intello. C’est ainsi qu’on le définit au boulot. Outre son métier, c’est un passionné d’anthropologie.

Ève est également salariée dans la même entreprise et, outre la comptabilité, elle effectue les devis et la plupart des tâches d’entretien. Son foyer est un cocon où elle se sent libre de s’adonner à ses passions artistiques, à ses activités professionnelles ou à ses rêveries. Après plus de sept années de mariage et presque autant à essayer d’avoir un enfant, son rapport à la fatalité ainsi que sa sérénité dans l’épreuve étonnent toujours son époux.

Ils ont adopté Emmanuel, un garçon aux cheveux foncés, presque de jais, dont le teint hâlé lui donne bonne mine quelle que soit la saison.

« Quand la nuit, les insomnies me tiraillent, j’approche mon visage, respire sa peau. Ma femme exhale une odeur briochée de légèreté, de nonchalance et de cougnou ». 

« André ? »

« Oui ? »

« Est-ce que je ne serais pas enceinte ? »

Drôle de phrase, drôle de femme. Muet, j’observe son visage anguleux. Ève est une pierre laissée à l’état brut, aux pommettes et sourcils puissants, un être dont la préciosité se révèle dans la façon d’être et de penser.

Ève a perdu sa maman à la naissance. Pourtant elle cultive un certain art de vivre, conjuguant son insouciance au présent. Une force tranquille. À dix-huit ans, elle a rompu tout contact avec son géniteur. Pour elle seul le tangible compte. Si, un jour elle a décidé d’embrasser un inconnu au cinéma ou de rayer son père de son existence, c’est sans se soucier des conséquences. Ou en les supportant. Elle donne ainsi l’impression d’avoir métamorphosé sa fragilité en pulsion de vie.

À dix ans, Emmanuel a atteint l’âge où l’on s’interroge. 

 « Tu penses à quoi ?»

Il me regarde, entrouvre les lèvres, mais ne dit rien. Comme s'il pressentait que ce qu'il veut me dire est trop important pour l'exprimer sans choisir ses mots. Ou que ce n'est pas le moment.

« Dis-moi!»

Il compte dans sa tête…

« Tu trouves que c'est beaucoup de mourir trois fois ? 

- Je ne vois pas ce que tu dis. On ne meurt qu'une fois! 

Mais, non ! »

Il tape du pied et soupire. Depuis quelque temps, Emmanuel s'impatiente, surtout quand je ne le comprends pas du premier coup. Il crie presque :

«La grand-mère de maman est morte en accouchant de sa fille qui est morte aussi en accouchant. Et puis maman, elle va accoucher aussi, non ? »

Je pâlis. Je n'avais pas fait le rapprochement. Emmanuel a raison, mais je rejette cette idée de toutes mes forces.

« Ne t'inquiète pas. Deux fois la même malchance, ça arrive, mais jamais trois. »

Démarre alors une incroyable enquête sur les origines, la recherche de ces fragments de mystères qui constituent l’homme et sur les intarissables découvertes qui en résulteront.

Notamment celle de « la Vénus de la vallée mosane » qui rejoint ainsi les deux cent cinquante idoles paléolithiques retrouvées jusqu’à présent de la Sibérie à la France.

Mais aussi l’identification de la maladie orpheline qui touche Ève.

Pour Emmanuel, sorti d’un orphelinat copte en Égypte, l’aventure vécue par ses parents sera d’autant plus passionnante. À onze ans, il est encore bien incapable de développer le cheminement de sa pensée. L’esprit d’un enfant n’est pas encombré de doutes ni de peurs, ni du diktat du rationnel entaché de tant d’hypothèses et de marges d’erreur. Nous n’avons d’autre choix que de l’autoriser à caresser son rêve.

L’auteur aborde en toute délicatesse le sujet de l’adoption, le devoir d’inculquer le sentiment d’appartenance, le plaisir d’être un humain en harmonie avec les humains, l’envie de se sentir solidaire de tout être vivant. Mais aussi le devoir de réponse…

La Vénus de la vallée mosane – Olivier Papleux – Éditions M.E.O. – 2023 – ISBN 9782807003835