Toulouse. Dans un hôpital psychiatrique, un patient est retrouvé attaché dans son lit de contention, le corps tailladé à de nombreux endroits. Sur le bord du matelas, là où pendait, inerte, une des mains du mort, un détail insolite, incongru, incompréhensible. Une spirale… On eût dit que l’index du mort – bien que son poignet fût resté prisonnier de la boucle en cuir – l’avait tracée de l’ongle dans le sang frais qui imbibait le matelas. La victime, Stan Du Welz, quarante-cinq ans, travaillait dans le cinéma.

Le capitaine Vincent Espérandieu et le lieutenant Samira Cheung rejoints par Servaz observent le tableau horrifiant : dans cette pièce de quatre mètres sur trois, un assassin s’était déchaîné. Fait troublant, le patient de la chambre voisine s’est volatilisé. L’évadé est un certain Jonas Résimont.

Samira Cheung ressemblait autant à un flic qu’une citrouille d’Halloween à un vase chinois. Un trait épais de crayon noir donnait à ses yeux cernés un regard à la fois fascinant et perturbant ; ses cheveux bruns coupés à la diable et ses fringues – pantalon vinyle, blouson de cuir clouté et tee-shirt noir – évoquaient davantage une maîtresse SM à la laideur perturbante qu’une enquêtrice de la PJ. 

Quand Judith Tallandier, une étudiante en esthétique du cinéma, pénétra dans le dru de la forêt, dans sa chair verte toute veinée de soleil et moirée d’ombre, elle se remémora les messages échangés avec Morbus Delacroix. Cinéaste maudit ? Cinéaste culte ? Génie ou faiseur ? Surfait ou sous-estimé ?

Elle avait son idée sur la question. En voyant les films de Delacroix pour la première fois, Judith se souvenait d’avoir eu le sentiment de pénétrer dans un univers familier, certaines scènes lui ayant donné l’impression de faire écho à sa propre vie, comme si le réalisateur et elles étaient connectés. Comme si quelqu’un avait rapporté des confins les plus terrifiants de son cerveau des fantasmes que le cinéma aurait exposés dans la lumière crue d’un bloc chirurgical…

Morbus Delacroix, le réalisateur culte de toute une génération, avait tourné cinq des meilleurs films d’horreur sortis au cours de la première décennie du XXIe siècle, avant de mettre fin à sa carrière à l’âge de trente-cinq ans et de se retirer au fond des Pyrénées. On le disait misanthrope, arrogant, acariâtre, cynique, insociable, fou. Petit de taille, il dégageait ne forme d’animalité qui était peut-être due à sa silhouette râblée de catcheur, ou bien à sa souplesse de fauve.

Judith notait tout… Son stylo courait, avec un léger bruit de grignotis, sur le papier du grand carnet dont la fermeture était à combinaison. Son écriture était ronde, fluide, légère. Le genre d’écriture qui, selon les experts, traduit une personnalité accueillante, une forme de délicatesse et de discrétion… Tu parles… 

Elle écrivit :

Et si j’étais le Petit Chaperon rouge dans la tanière du Loup ? Qui viendra à mon secours s’il est non seulement aussi barré et génial qu’on le dit, mais en plus un gros pervers amateur de chair fraîche ? Sa meuf…

Il était 20h30 quand le père Eyenga se gara devant l’entrée du petit hôtel deux étoiles face à la plage. Dans sa poche, une clé USB qui lui avait été remise par un homme au crépuscule de sa vie. La plage balayée par la tempête, était déserte. On n’entendait que le remuement de la mer, les cris des oiseaux et les rafales. Le prêtre était fasciné par la silhouette sombre du château perché sur un îlot. Eyenga pensa à celui de L’Île Noire…

Le vent soufflait. — Vous avez le pied marin, mon père ?... Un sourire semblable à une fissure dans un mur s’étira sur les lèvres trop grandes de l’homme de haute taille en ciré jaune qui se faisait appeler Kenneth Zorn, de son vrai nom Viktor Kern, un producteur de cinéma. À en croire une fiche Wikipédia, il ne produisait plus grand-chose depuis un certain temps.

Pour le commandant Martin Servaz, il était de plus en plus évident que ce qui s’était passé durant certains tournages avait laissé des traces indélébiles dans l’inconscient des protagonistes. La solution d’un des meurtres qu’il avait à élucider était peut-être là, dans cette clé USB. Il ne s’agissait pas seulement d’assouvir ses fantasmes. Comme chez Sade, cela allait beaucoup plus loin, cela participait d’une…mystique.   

Bernard Minier plonge son lecteur dans les bas-fonds du cinéma d’horreur !

Accrochez-vous ! 

Un œil dans la nuit – Bernard Minier – XO Éditions – 2023 – ISBN 9782374484976