Un Justitia englué

Alors que le procès des attentats de Bruxelles qui ont fait 32 morts sera long, la première semaine au Justitia, le nouveau palais de Justice spécialement créé pour juger les responsabilités, est déjà un échec absolu. Après un faux départ le 10 octobre pour une question de boxes à devoir mettre en conformité avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme pour garantir un procès équitable, le débat s’est focalisé depuis ce 5 décembre non pas sur le fond, mais cette fois sur des mesures de sécurité. Depuis le mois de septembre, dans ce tumulte, les victimes peinent à trouver une place en raison de perturbations organisationnelles périphériques.

Les ratés s’additionnent dans les couloirs de l’ancien site de l’OTAN. Le procès s’est ouvert le 30 novembre par la sélection des 36 jurés qui vont siéger durant sept mois, dont 12 effectifs et 24 suppléants, avec une parité hommes/femmes. Après une semaine, la cour compte déjà 4 jurés en moins. Le début d’un jeu de chaises musicales ? Différence majeure avec la Belgique, en France les procès pour terrorisme se déroulent, depuis 1986, uniquement avec des magistrats professionnels. 

Un simulacre de procès

Un accusé « étranglé », cinq autres qui quittent la salle d’audience pour dénoncer des faits de maltraitance policière, un PV dressé pour rébellion, la question du traitement des accusés et leurs conditions de transfert plombent les audiences. Les avocats de la défense interpellent par courrier les ministres de la Justice et de l’intérieur pour demander que cessent ces mesures sécuritaires stériles. « C’est une honte de plus ! Nous sommes la risée de l’Europe, voire du monde », estiment de leur côté les victimes et familles des victimes, à bout. Dans un communiqué, l’aisbl Life4Brussels, qui rassemble plusieurs victimes des attentats de Bruxelles et leurs avocats, réagit : « Le SPF justice est clairement responsable. Il n’est pas question qu’à nouveau, il fasse capoter les choses. Après la saga des box, aujourd’hui, une nouvelle saga risque de mettre à mal ce procès. Il n’est pas envisageable pour nous que les accusés ne prennent pas part à ce procès. Sans accusé, il n’y aura qu’un simulacre de procès ». Après avoir été abandonnées à leur sort depuis plus de 6 ans, les victimes doivent faire face à un amateurisme sans nom et à une mauvaise foi du ministre de la justice qui se décharge de ses responsabilités. « On demande souvent aux victimes de se mettre à la place des accusés, mais est-ce que les accusés se sont mis un seul instant à la place des victimes ? »

Des Français très professionnels

À Paris, le procès qui s’est ouvert le 8 septembre 2021 était spécial à plus d'un titre. Les accusés avaient également tenté de faire remonter des incidents similaires, mais ils seront rapidement réglés pour que le procès puisse se concentrer sur l’essentiel. Le monde judiciaire français s’est, en effet, mobilisé pour assurer une organisation inédite. Enquêteurs, magistrats, avocats, greffiers, services de sécurité, services logistiques et services techniques ont travaillé sans relâche pour mettre sur pied un rendez-vous à la hauteur de son enjeu. Un comité interministériel (Justice et Intérieur) a piloté le chantier depuis octobre 2019. Six groupes de travail ont été mis sur pied pour plancher sur tous les sujets à anticiper, de la taille des micros aux portiques de sécurité en passant par le transport des accusés, l'accueil des parties civiles et la retransmission des débats. Résultat : 400 réunions de travail pour remplir cette mission d’intérêt commun. 

Du côté des 300 avocats des parties civiles, un véritable travail d'équipe s'est mis en place. Objectif : mutualiser les connaissances sur le dossier et éviter de multiplier les questions pendant les débats. Un espace sécurisé numérique a été créé par l'Ordre des avocats pour leur permettre d'échanger et de partager des documents. Des groupes de travail se sont réparti les thèmes à creuser, en fonction des attentes de leurs clients : le profil des accusés, la radicalisation, le rôle des services de renseignement dans la prévention de ces attentats, les séquelles physiques et psychiques des victimes et les indemnisations, etc. Pour soutenir les témoins et leurs proches, 15 psychologues ont aussi été recrutés en renfort. 

Un an plus tard et à circonstances égales, de l’autre côté de la frontière franco-belge, une citation se fait présente : « Petit pays, petit esprit ? ». La citation résume à tout le moins de manière criante l'incompétence judiciaire notoire de la Belgique depuis la gestion de la crise terroriste, dès les premières heures qui ont suivi les attentats en 2016, jusqu’à la tenue de ce procès hors normes, pourtant tant attendu par les victimes, en 2022.